21/5 _ 23:40

Parlons, vomissons tous ces mots, tous ces souffles coupés, tous ces sommeils inexistants et ces sourires faux, et moches.

J'aimerais pouvoir garder tout ça le plus longtemps possible à l'intérieur, entre mon estomac et mes poumons. Si j'arrive à tout mettre dans une poche, et à le garder secret, ça voudra dire que tout va bien, que ma grand-mère n'est pas encore morte, que je suis pas encore triste.
Si je sors tout ça, si j'expulse tout ça, si ça sort malgré moi, c'est que d'une façon ou d'une autre, je devrais aller voir -une bonne fois pour toute- un psy, et que je serais retombé en dépression.
Parce que c'est ça le gros problème; à 14ans, -des années lumières !- j'étais à tendance suicidaire, je ne dormais pas, je pleurais tous les soirs, je n'envisageais rien, no future, et rien n'avait d'importance, ou presque. Et à almost 18, je suis encore et toujours au bord du gouffre.

Tu vois, y a tellement d'affreux noeuds dans ma gorge, tellement de bulldozers dans ma tête, tellement de graviers dans mon ventre; tellement de bruit, tellement d'agitation, ou d'attente aussi. Tellement rien, et tellement tout.
Quand je repense à cette époque, où j'étais en apnée tout le temps, où le mot fatigue voulait dire tant de choses et si peu à la fois, où le moindre objet pouvait être l'arme du crime, j'aimerais ne jamais retomber là-dedans -aussi facile que ça puisse être de se laisser tomber. Mais ça remonte comme de grands angoisses, qui partent du ventre, et remontent jusqu'à ma gorge.

Ce matin, je traversais la cour du lycée. Les lunettes de soleil sur le nez, les mains dans les poches, en route vers le cours de philo.
Et bah, tandis que je regardais les sandales des filles, que je les entendais, tous, si nombreux, rire, c'est monté. Comme ça, sans rien dire. J'ai plissé les yeux très fort, très fort, et j'ai continué de marcher, de monter les escaliers, de faire la bise.

J'en veux pas. Je veux pas mourrir étouffée par toute la haine, la rancoeur, la colère, la tristesse, le chagrin, le regret.
Et elle n'est pas encore morte.


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(image ; Egon Schiele - ?)

11/5 _ 9:26

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À 8h15, mon père m'a annoncé que ma grand-mère a chopé un cancer de l'œsophage et du foie en essayant de soigner son cancer du sein.

À 8h30, j'ai versé deux larmes.

À 9h20, j'ai la gerbe.

1/5 _ 0:03

Un grand homme noir. Gigantesque, avec de grandes mains, ridées. Sèches, mais chaudes. Il tenait cette femme blonde dans ses bras, cette femme si fragile. Sa taille menue était serrée dans une robe si courte, si moulante, si rose. Elle avait mis du rouge à lèvre rose aussi, et ses grands yeux bleu, si vifs, si pétillants souriait à ce grand homme poli. Il la tenait fort dans ses bras, et au son d'une douce valse, il la faisait danser entre les verres et les assiettes. Le sol était abimé, vieux, brûlé, la peinture sur les murs s'écaillait, et l'évier gouttait. Mais une lumière violette, si douce, comme la valse, passait à travers les carreaux sales. Et puis, la musique s'est arrêté, et l'homme noir continuait de faire valser la poupée dans ses bras. Ses petits doigts ne touchaient plus sa vieille veste en tweed vert, ses petits pieds dans de jolis escarpins blancs grattaient le sol, et il la serrait tellement fort contre lui. La lumière s'est tue, elle aussi. Il a lâché la femme, et elle est tombée. Ses boucles blondes ont tressauté contre son visage clair, violet. Sa robe rose se plissait au dessus de ses jambes de chiffon, et un de ses escarpins était posé là, contre un placard. Il a ajusté son chapeau gris sur sa tête, il a regardé la poupée inerte, froide sur le sol. "Elle est morte, monsieur", a-t-il dit au groom qui se tenait sur la terrasse rongée, et qui regardait la scène sans rien dire. Le grand homme noir s'est incliné, comme une dernière révérence à celle qui fut une adolescente blonde, et il est sorti. Pour boire une bière, en écoutant du jazz, dans un bar doré. Pour trouver une nouvelle cavalière à cette douce valse violette, si claire.

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Et puis, il est arrivé. Il faisait noir, et une odeur de bière se mélangeait à celle de la glycine. Il a fermé le portail, et le bruit a résonné jusque dans le canapé, où ils étaient tous en train de rire. Elle tenait une cigarette entre ses doigts, et le regardait comme s'il était le dernier des cons. Il s'est mis à crier, et sous la lumière blanche du lampadaire, il paraissait encore plus grand. Il hurlait, et elle recula, en recrachant la fumée de sa cigarette au-dessus de sa tête. Un nuage de cendre au dessus de ses jolis cheveux roux. Il a crié encore plus fort, son visage était totalement déformé, et la main s'est abattue sur sa joue. Lourdement, dans un grand bruit, il a frappé. Une fois. Elle a reculé encore plus, la bouche ouverte. Il a continué d'hurler, et il l'a frappé encore une fois. Encore plus fort. Elle a essayé de crier à son tour, mais elle n'a pas eu le temps, que la grande main claquait encore une fois sa joue. Cette fois, une peu de sang a giclé; il portait toujours cette grosse bague. Elle a hurlé cette fois-ci, mais la musique était trop forte. Alors, elle a attendu, dans le froid, dans le noir, contre la terre gelée, à côté des racines, elle a attendu que les coups pleuvent, et qu'il se lasse. Il ne s'est jamais arrêté, et j'ai senti les coups dans mon ventre trop longtemps.

Avant de me reveiller, le corps courbaturé, les yeux larmoyants.

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