10/9 _ 2:05

J'ai pas l'air conne à fumer à ma fenêtre à deux heures du matin, en pleurant. Face à la rue défoncée à coup de tractopelles; maintenant, c'est de la boue maronnasse.
J'ai pas l'air conne, non, à me dire que j'ai tout raté, que je n'ai pas assez profité. J'ai pas l'air conne à me dire que j'ai tout manqué avec elle.
J'ai pas l'air conne à me mettre à pleurer, parce que l'héroine de Persepolis, sa mamie elle était géniale, et elle partageait tant de trucs avec elle.
Moi, ma grand-mère, je l'ai manqué. Je sais pas, j'étais timide, elle me faisait peur. Ou peut-être que je la voyais pas assez. Ou alors, je détestais tout le monde. Et juste, quand ça allait mieux, quand je commençais à sourire parce qu'il y avait des fleurs dans les arbres, et parce que j'allais passer des vacances chez mes grand-parents, bah, pouf, elle s'en est allée. Au revoir. Même pas de je t'aime, juste des bisous, sur le bout des doigts, qu'on souffle vers cette dame. Cette belle dame.
Elle se trouvait moche, grosse et vieille quand elle me montrait ses bleus sur les jambes. Moi je la trouvais belle, c'était ma seule grand-mère, et elle faisait la meilleure cuisine du monde, et elle était toujours aux petits soins. Mais moi, j'ai rien vu, j'ai cru que c'était une vieille dame qui n'avait jamais su profité.
Avant, je parlais de mes grands-parents comme ces petits vieux, avec des pantalons à pince, et cet air sérieux sur le visage qui te regardent de haut quand ils marchent à côté de toi, toi aux cheveux rouges, aux vêtements multicolores, qui fument ta clope, assise par terre.
Mais en fait, ils étaient pas comme ça. Elle était pas comme ça. Elle adorait mes cheveux rouges, mes atebas, mes vêtements joyeux. Et si elle avait su que je fumais, ça lui aurait juste fait de la peine de me voir me bousiller la santé.
Elle était pas bête, elle avait évolué avec son temps, elle m'envoyait des mails, et je ne prenais même pas la peine de répondre.
C'est ça, de pleurer à deux heures du matin, accoudé à sa fenêtre, en fumant une cigarette. J'ai rien compris, j'ai tout raté.
Je ne lui ai pas demandé de m'apprendre à tricoter, ni de m'apprendre à faire du riz au lait, ou de la ratatouille. Je ne lui ai jamais demandé de me montrer des photos d'elle, plus jeune. Ni de me raconter comment c'était la guerre, comment était son papa, et sa maman aussi. Je ne lui ai jamais demandé c'était comment ses études de droit. Je ne sais pas quel est son livre préféré, son film préféré, son chanteur préféré.
Je ne sais rien d'elle, mais elle n'est plus là. Qu'un tas de cendres, dans une tombe en marbre, sous un monceau de fleurs.
Et je ne sais même pas quel est son deuxième prénom.
 
Par A lice le 15/9 _ 14:54
Je t'aime
 

Ajouter un commentaire









Commentaire :








Votre adresse IP sera enregistrée pour des raisons de sécurité.
 

La discussion continue ailleurs...

Pour faire un rétrolien sur cet article :
http://summertime.cowblog.fr/trackback/3037108

 

<< Page précédente | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | Page suivante >>

Créer un podcast